Un oratoire à Palerme

L’Oratoire de Saint Laurent, un chef-d’œuvre en stuc décoré par le célèbre sculpteur Giacomo Serpotta est placé au cœur du centre historique de Palerme, dans les ruelles du quartier de la Kalsa. C’est un bijou inattendu et caché qui se révèle aux yeux du voyageur. Petit lieu privé, appartenant à une Compagnie de marchands génois titrée à Saint François, et utilisé comme lieu de réunions laïques et célébrations religieuses, L’Oratoire de Saint Laurent est édifié à la fin du XVIème siècle sur le même espace que l’église de Saint Laurent. À cette époque, Compagnies, Confréries et Congrégations de métiers anciens, s’occupaient de secours mutuel: aider à l’enterrement des morts, emmener les condamnés du Tribunal de l’Inquisition espagnole à leur dernier jour avant de rejoindre l’échafaud, gérer l’organisation de Fêtes et processions religieuses. Les Compagnies étaient composées de gens très riches et très importants pour la vie sociale et la vie économique de la ville. Pour cette raison, chaque Compagnie pouvait se permettre un lieu privé et financer sa décoration. 

L’oratoire de saint Laurent

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les quartiers les plus riches de la ville, ceux proches du port, regorgeaient d’oratoires. Des lieux extérieurement moins évident que les églises, mais très riche à l’intérieur. En fait, plus le choix des matériaux utilisés et des œuvres commanditées pour la décoration interne étaient somptueux, plus le prestige de la Compagnie de laïcs qui la finançait était grand.
À la fin du XVIIIème siècle, Giacomo Serpotta, stucateur bien connu et le plus célèbre d’une famille d’artistes, est appelé par la Compagnie pour refaire la décoration interne de l’Oratoire de Saint Laurent. Artiste brillant et raffiné, il conçoit une scénographie baroque fine, innovatrice et moderne et l’achève en très peu de temps, en utilisant comme unique matériau, le plus pauvre pour les sculpteurs: le plâtre.

La nativité de Caravage

La clé d’interprétation qui donne le départ à la transformation du lieu, est la toile avec la Nativité et les saints Laurent et François réalisée pour l’Oratoire en 1609 par le grand Caravage. Giacomo Serpotta étudie justement ce cadre pour renouveler l’intérieur de l’Oratoire. Il suit l’ordre et la disposition des figures choisies par Caravage pour concevoir les théâtres en perspective des murs latéraux: en regardant l’autel principal en agates et jaspes, à droite se trouvent les histoires de Saint François ( Tentation, Donation des vêtements au pauvre, Saint François devant le sultan d’Égypte) et à gauche les histoires de Saint Laurent ( Donation des biens de l’Église aux pauvres, Saint Laurent et le Pape Sixte II, La Spoliation de Saint Laurent). En contre-façade – considérée comme la paroi la plus importante dans un oratoire à cause de la présence de la table et du trône des supérieurs de la Compagnie – se trouve la très belle scène du Martyre de Saint Laurent, moment final et glorieux de la vie du saint. En face de cette scène, exactement sur la clé de voûte de l’arc de triomphe, c’est La gloire de Saint François. Les deux saints sont ainsi opposés l’un à l’autre, unis par l’extase divine.

Les Putti

Pour faire contrepoint aux histoires des saints sur les parois latérales, les belles Vertus  surgissent superbes et parfois licencieuses: Pénitence, Constance, Miséricorde et Foi dévoilent la profonde signification de la Vie de Saint François tandis que Humilité, Aumône, Vérité et Gloire traduisent en images les nobles actions de Saint Laurent. Reines entre toutes, l’Hospitalité et la Charité,  comme traductions maternelles du profond message chrétien. Dans cette atmosphère voilée de blanc pur, des groupes d’enfants munis de petites ailes volent, ils jouent et ils font des bulles de savon, ils s’embrassent ou ils dorment sur les architectures raffinées réalisées en stuc par Giacomo Serpotta. Ce sont les Putti, angelots-enfants, petits enfants du quartier appelés à animer et à alléger le caractère sacré du lieu. Par leur présence, la réalité du quartier de la Kalsa fait partie d’un espace sacré. Un peu comme un siècle avant, le réalisme cru de Michelangelo Merisi da Caravaggio faisait son entrée dans le monde de l’art, Giacomo Serpotta ajoute également une note de réalité à la demande de ses commanditaires.

Tableau volé

À nous, chanceux admirateurs de ce lieu caché et merveilleux, il nous reste aujourd’hui les stucs raffinés de Serpotta, les sièges en nacre, d’ébène, d’ivoire, de palissandre et de buis, les sols en marbres polychromes et les pierres précieuses de l’autel. Malheureusement, cet écrin de trésors a été privé de son chef-d’œuvre le plus connu. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1969, la splendide toile du Caravage qui décorait l’autel principal de l’Oratoire de S. Lorenzo a été volée. Une date terrible pour l’histoire de l’art italien! En attendant que l’œuvre la plus recherchée au monde soit retrouvée, des architectes et des informaticiens du groupe Factum Arte, se sont employés à travers l’utilisation de techniques informatiques et numériques avancées, dans la réalisation d’un clone de la Nativité et les Saints Laurent et François.
En 2017, le vide tragique laissé par le vol du 1969 et qui pendant des années a bouleversé les yeux et l’âme du visiteur, a été comblé par les nouveaux moyens de la connaissance contemporaine.

Palerme

L’Oratoire de San Lorenzo est un lieu magique, un endroit secret où le baroque du XVIIIe siècle se purifie et s’adoucit dans les teintes, les formes et les matériaux. C’est un espace où la tragédie et la comédie se révèlent dans leur signification la plus profonde, une boîte à événements. Palerme mérite une visite aussi et seulement pour ce magnifique chef-d’œuvre.

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