les juifs d’Italie
Les juifs d’Italie
Chers amis de Guiderome, j’ai le plaisir de partager avec vous les émotions et les résultats d’un voyage de groupe que j’ai accompagné et guidé en octobre 2021. Le thème était axé sur les juifs d’Italie depuis les romains jusqu’à nos jours. Des personnalités, des professeurs, des enfants de déportés, des écrivains, un survivant d’Auschwitz étaient mes clients… Un concentré de savoir et d’expérience extrêmement stimulant pour ma profession. Mon guidage nous a donc emmené dans les cimetières, les synagogues, les camps de triages, les ghettos mais surtout sur les traces d’un passé glorieux qui contribua à la richesse de toute la région… Je remercie Jacqueline Pollak journaliste en Belgique pour le bel article, Arianne Ben David professeur à l’université La Sorbonne et LLoica directrice de l’agence organisatrice pour cette belle opportunité… et vous invite à lire l’article pour savoir ce que vous pouvez découvrir en visite guidé sur les juifs d’Italie et plus précisément en Emilie Romagne. Je vous invite à découvrir les autres régions d’Italie avec mes sollègues sur ce thème. La présence israelite est partout dans le pays, de la Sicile à la Vénétie.
UN JUDAÏSME PROCHE DE L’EXTINCTION
Le judaïsme italien et les merveilles de l’Émilie-Romagne ont été les thèmes d’un superbe et très instructif voyage organisé par Lloica Czackis, de l’association Valiske, accompagné par Ariane Bendavid, de la Sorbonne, et guidé par Nathalie Zaveroni. L’Italie est le pays le plus riche au monde pour son patrimoine culturel et historique, c’est en effet elle qui compte le plus de sites classés à l’Unesco, 55 au total. Nous avons visité quatre de ces merveilles. L’Italie a par ailleurs été le premier pays d’Europe occidentale à accueillir une diaspora juive et ce à partir du deuxième siècle avant l’ère commune. Au XVIe siècle, elle abritait la moitié de tous les Juifs d’Europe, italiens, séfarades et ashkénazes.
17.000 manuscrits
L’Italie possède en outre 17 000 manuscrits hébraïques, soit plus de la moitié de ceux qui ont survécu dans le monde. Ariane Bendavid en conférences du soir, et Nathalie Zaveroni en guidage dans les villes et ghettos, nous racontent l’histoire mouvementée de ces Juifs qui sont arrivés de la Judée à Rome, par vagues, notamment à l’époque des Maccabées et après la destruction du second temple de Jérusalem, quand l’empereur Titus amena à Rome la grande Menorah de Jérusalem et 700 prisonniers juifs. Au premier siècle de l’ère commune, il y avait à Rome, entre 30 et 40 000 Juifs. Ils étaient prosélytes et convertirent au judaïsme de nombreux Romains las de leur panthéon polythéiste, ce qui provoqua de l’antijudaïsme, ainsi plusieurs écrivains romains, par exemple Sénèque, Cicéron et Tacite tinrent des propos antisémites. A la fin de l’empire romain, il y avait des millions de Juifs, ils représentaient près de 10% de la population.
Les persécutions
La situation des Juifs se gâta avec la montée du christianisme qui devint en l’an 380 la religion d’état. Les Juifs virent alors alterner les périodes de persécutions et de tolérance, les chrétiens s’illustrèrent par exemple en créant le statut de dhimmi. A partir du VIIIe siècle, les Juifs se concentrèrent dans le sud de l’Italie et en Sicile, jusqu’à ce que l’Église, en 1215, au quatrième concile de Latran, décide de leur imposer des signes distinctifs. Poussés à la conversion, au XIVe siècle, de nombreux Juifs choisirent de partir en Italie centrale et du nord où leur arrivée provoqua parfois des émeutes mais pas de pogroms. L’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 amena en Italie de nombreux Juifs espagnols et portugais mais dans une moindre proportion que dans l’empire ottoman. La décision la plus fatidique pour les Juifs italiens fut prise par le Vatican en 1555, c’était une bulle papale qui enfermait dans des ghettos les Juifs qui vivaient dans les états pontificaux, c’est-à-dire dans les deux tiers de l’Italie. Ces ghettos durèrent jusqu’à l’émancipation des Juifs, vers 1797, lorsque Napoléon conquit l’Italie et proclama l’égalité de tous les citoyens.
Le Risorgimento
Au XIXe siècle, les Juifs d’Italie s’éloignent de la pratique stricte, entrent à l’université, s’assimilent et participent au Risorgimento, la lutte pour l’unité italienne. Ils se sentent profondément italiens, plus tard ils s’opposeront au sionisme et au communisme, ils vivent une longue période heureuse. Ils sont devenus si italiens que, dans les années 1930, 10% d’entre eux vont jusqu’à adhérer au parti fasciste. Leur déconvenue fut d’autant plus grande en 1938 lorsque Mussolini proclame les lois raciales qui les exclut de la société italienne, des mesures antisémites qui aboutiront à la déportation d’environ 8000 Juifs, pour la plupart vers Auschwitz. Les arrestations et les déportations furent le fait des Allemands avec cependant parfois des Italiens, comme dans le camp de concentration de Fossoli où, les gardes allemands n’étant pas assez nombreux, il fut souvent nécessaire d’appeler en renfort des carabiniers et des surveillants italiens. Cependant beaucoup de Juifs furent sauvés par leurs compatriotes non juifs, y compris par des institutions religieuses. Les Juifs auraient été environ 40 000 en 1938 et près de 28 000 en 1948. Aujourd’hui ils sont très intégrés et très bien acceptés. Ils sont environ 30 000.
A Bologne
Bologne, capitale de la région, se distingue par son charmant centre historique, le plus vaste d’Europe et un des mieux conservés, avec notamment ses 42 km d’arcades, ses tours médiévales montant jusqu’à 97 mètres et l’imposante basilique de San Petronio, qui trône sur la Piazza Maggiore, insolite avec sa façade moitié en marbre rose, moitié en brique sombre. Nous y trouvons une fresque du XVe siècle qui représente le Jugement Dernier : les chrétiens y ont le bonheur d’entrer au paradis, les Juifs, personnifiés par une femme aux yeux bandés, sont eux jetés en enfer. Bologne a eu autrefois une communauté juive importante qui a connu les mêmes vicissitudes que partout dans la région. Suite à la bulle papale de 1555, un ghetto y a été créé en 1556, les Juifs ont été chassés de la ville en 1569, sont revenus en 1586 et ont été à nouveau expulsés en 1593. La ville resta sans Juifs pendant deux siècles, jusqu’à l’arrivée de Napoléon. Des tombes de riches banquiers témoignent d’un passé florissant, certaines de ces pierres tombales furent ensuite mises à l’envers pour devenir des tombes chrétiennes. Il y avait pourtant aussi une collaboration entre intellectuels juifs et chrétiens comme le montre, sur un beau palais du XVIe siècle, le palais Bocchi, une citation du psaume 120, écrite en hébreu, grec et latin, qui dit « Eternel, délivre-nous des lèvres fausses, de la langue trompeuse ».
La synagogue de Bologne
est de rite italien et peu hospitalière pour les femmes reléguées à l’étage comme dans toutes les synagogues orthodoxes et en plus obligées de rester debout pour pouvoir voir l’office du shabbat. Le minyan n’est atteint que grâce aux hommes de notre groupe, les fidèles bolognais n’étant que cinq, quatre hommes et une femme. Lorsque les mesures anti-covid seront levées, ces rares pieux pourront aller prier dans une synagogue plus petite, au sous- sol, tout en y contemplant sous leurs pieds les beaux restes d’une grande domus récemment découverts par les services des Beaux-Arts de Bologne. Les manuscrits hébraïques ont beaucoup souffert au fil des siècles, brûlés ou mis à l’index par l’Église après la bulle de 1555 ou détruits par les nazis et les fascistes pendant la deuxième guerre mondiale. Parfois c’étaient les Juifs eux-mêmes qui s’en débarrassaient, ces manuscrits en parchemin leur paraissaient inutiles après l’invention de l’imprimerie, ils les vendaient à des artisans qui en faisaient de la reliure.
Les Archives d’État de Bologne
possèdent des fragments de ces manuscrits hébraïques médiévaux et, à l’université de Bologne, le professeur d’études juives, Mauro Perani décompose ces reliures pour exfiltrer ces manuscrits extrêmement précieux. Il nous montre des pages de la Bible, du Talmud et du Lévitique qu’il a ainsi retrouvées. Il nous parle de 360 feuillets du Talmud sauvés et nous montre des pages d’un Talmud écrit il y a mille ans dans les Pouilles, à Otranto, un Talmud de Jérusalem, un miracle ! Ce professeur s’était déjà rendu célèbre, en 2013, il avait retrouvé, dans les archives de l’université de Bologne, la plus vieille Torah du monde, datant vraisemblablement du XIIe siècle.
A Ferrare
Les Juifs de Ferrare ont eu la chance d’être gouvernés pendant trois siècles par les ducs d’Este, bien plus tolérants à leur égard que les papes. Au XVIe siècle, les Juifs de Ferrare sont des ashkénazes ou des séfarades expulsés d’Espagne et du Portugal ou ce sont des personnes expulsées de Naples ou encore ils sont originaires d’Ancône, en outre il y avait aussi des marranes. Au XVIe siècle, c’est la seconde communauté d’Italie après Rome. La célébrissime bible de Ferrare est imprimée en 1552-53, c’est la première bible publiée en castillan et en caractères latins, elle est destinée aux Juifs qui ne connaissent plus l’hébreu et elle sera souvent rééditée. Ferrare est devenue un foyer intellectuel et artistique, l’Arioste, le Tasse, Piero della Francesca, Andrea Mantegna y fréquentent sa cour princière. L’urbanisme moderne y naît avec les premiers plans d’urbanisme basés sur les nouveaux principes de la perspective. Cet urbanisme révolutionnaire a valu à Ferrare son classement au patrimoine de l’Unesco. En 1558, la maison d’Este est éliminée par le pape, Ferrare passe sous la botte du Vatican. Les Juifs sont enfermés dans un ghetto en 1624, ils y sont environ 1500. Aujourd’hui on peut admirer le beau château médiéval, la ville Renaissance et l’ancien ghetto qui est le plus grand et le mieux conservé d’Italie. Inutile en revanche de chercher le jardin des Finzi-Contini, le film a bien été tourné à Ferrare mais c’est un montage, ni la famille ni le jardin des Finzi-Contini n’ont jamais existé. La communauté juive de Ferrare est aujourd’hui la plus importante d’Émilie Romagne. Et c’est à Ferrare que l’on trouve le passionnant Museo nazionale ebraïco.
A Modène
La belle Modène s’enorgueillit de sa magnifique cathédrale du XIIe siècle, exemple suprême des débuts de l’art roman, on y trouve aussi de belles églises baroques. Modène appartenait à la maison d’Este, quand celle-ci est expulsée de Ferrare, la famille se replie donc à Modène et elle est suivie par de nombreux Juifs de Ferrare. Les premiers Juifs étaient arrivés au XIVe siècle, à l’époque les habitants de la ville étaient tolérants. Au XVIe siècle, les Juifs devront porter des signes distinctifs. En 1638, sous la pression des commerçants locaux et des franciscains. 35 familles chrétiennes sont expulsées d’un quartier de la ville, et 45 familles juives arrivent, elles créent trois synagogues et neuf oratoires. Le ghetto est ouvert à l’époque napoléonienne puis refermé par le duc d’Este alors au pouvoir. Les Juifs enfermés devront attendre jusqu’en 1859 pour retrouver leur liberté. Aujourd’hui la belle synagogue de Modène est trop grande car il ne resterait plus que 60 Juifs. CONTACTS guideinbologna@icloud.com +39 3391711505